C’est au sud-ouest de Mogs [Bahçesaray], à 38° 06’ N et 42°46’ E, à l’embranchement d’un vallon partant de la vallée d’Arwanits Tzor [Delan Dere], qu’est situé à 2200 m d’altitude, près du village de Spgants (Sourp Ganants) [Elmayaka] qui lui emprunte son nom, le monastère des Saintes-Femmes ou de la Sainte-Croix de Mogs, appelé aussi Dzayad.
Le Monastère des Saintes-Femmes ou de la Sainte-Croix de Mogs, Vue générale sud-ouest, 1910 ( Հ. Մաղաքյան, Հայաստանի պատմության թանգարան).
Les saintes femmes auxquelles il est dédié sont une communauté de chrétiennes, qui avaient fui les terres d’Empire à l’époque de la persécution de Dioclétien, pour se réfugier en Arménie, sous la conduite de la vierge Hrip‘simé. Le martyre des saintes Hripsimiennes à Vagharchabad (Édchmiadzin), à la fin du IIIe siècle ou au début du IVe, est étroitement associé à la prédication de saint Grégoire l’Illuminateur et à la conversion du royaume d’Arménie au christianisme sous le règne de Tiridate IV (Drtad). Le récit de leurs pérégrinations en Arménie a été consigné au IXe siècle dans l’Histoire des saintes Hripsimiennes. Ce récit les conduit d’abord au mont Sébouh [Kara Dağ], en Haute Arménie, où s’établit l’une d’elle et où saint Grégoire ira lui-même terminer ses jours (v. n° 45) ; il se poursuit, après plusieurs stations, dans différentes régions situées au sud et au sud-est du lac de Van, pour s’achever, avant leur martyre, au mont Varak (Erek Dağ, v. n° 1). Le récit affirme qu’en Moxoène – la province de Mogs – sainte Hrip‘simé édifie une chapelle en un lieu dédié à la Croix, chapelle à laquelle la tradition fera remonter la fondation du monastère de la Sainte-Croix de Mogs ou des Saintes-Femmes. Leur passage a marqué d’autres lieux, comme le couvent de Kinéganits ou Knigonits Vank‘, fondé tout près sur la tombe de sainte Kiné, l’une des compagnes de Hrip‘simé morte à cet endroit, ou celui de la Sainte-Mère de Dieu de Gdjav [***], situé au sud de Mogs.
Façade ouest du narthex et de l'église, 2013 (Coll. George Aghjayan).
Fondé avant la rédaction au IXe siècle de l’Histoire des saintes Hripsimiennes, le monastère des Saintes-Femmes a été la communauté d’origine du catholicos Ananie Ier de Mogs (Anania Mogatsi, 946-968), défenseur persévérant de la doctrine de l’Église arménienne contre les influences chalcédoniennes. Il est cité comme scriptorium en 1380 sous l’abbatiat de Diratsou, puis en 1401 sous celui du docteur Thomas (T‘ouma). C’est vraisemblablement le frère de ce dernier, Grégoire (Krikor), titulaire de l’évêché de Mogs, qui restaure en 1408 l’église du monastère. Une production scripturaire continue d’être attestée au XVIe siècle, en 1579 et 1586, époque où le monastère reste très actif, comme le suggèrent une stèle à croix du cimetière datée de 1559 et une autre, datée de 1592, insérée dans la façade est de l’église. Celle-ci s’est déjà vu attribuer alors une nouvelle dédicace – au saint Précurseur (Sourp Garabed) – après qu’on y a déposé des reliques de saint Jean-Baptiste et de saint Athénogène, provenant certainement du Darôn. Elles seront placées en 1794 dans une dextre reliquaire orfévrée par les soins du docteur Grégoire de Hir (Krikor Hirétsi), peut-être un moine du couvent ou du prieuré de Hir [***], situé plus en amont dans la vallée d’Arwanits Tzor (Hiravank‘ ). Au XIXe siècle, des beys s’emparent de nombreux biens fonciers appartenant au monastère, avant que le prieur Arsène (Arsen) ne parvienne à lui donner un nouvel éclat.
Plan (Thierry, 1989, 415).
Le monastère des Saintes-Femmes comprend :
• L’église de la Sainte-Croix ou du Saint-Précurseur, mononef triabsidiale à toit en bâtière de 11,8 × 7,3 m, à doubleau et niches latérales sous arcatures, édifiée probablement du VIIIe siècle et restaurée en 1408 ; l’abside centrale est dotée d’un synthronon à niveau unique et de gradins conduisant par des passages aménagés de part et d’autre de l’autel à des chambres latérales surélevées, disposées au-dessus d’espaces voûtés ;
• Un narthex de 13,6 × 10,7 m construit ultérieurement devant l’église, reposant sur quatre piliers centraux cruciformes délimitant au centre un compartiment couvert en voûte d’arête et sur les côtés huit compartiments voûtés ;
• Des communs ;
• Un cimetière.
Le monastère possédait des terres arables, des pâturages et des bois.
Coupe transversale du bloc absidal (Thierry, 1989, 415).
Le monastère des Saintes Femmes ou de la Sainte-Croix de Mogs a été confisqué après la Grande Guerre et laissé à l’abandon. Dans les années 1970, les communs avaient disparu mais l’église et le narthex étaient toujours debout. Leur état s’est beaucoup dégradé depuis. En 2009 le narthex était à moitié effondré et sa façade ouest, encore debout, ouverte de haut en bas au dessus du portail, dont il manquait une partie de l’arche. Les dalles de couverture de l’église avaient disparu, mettant à nu les flancs de la voûte sur toute leur longueur. De tous les biens du monastère, seule a été sauvée la dextre du saint Précurseur, que des rescapés de 1915 ont emportée avec eux jusqu’à Bassorah.
Oskian, 1940-1947, III, [1947], 866-870. Achdjian, 1970, 185-189. Thierry, 1989, 413-417. Outtier, Thierry, 1990, 695-733. Devgants, 1991, 174.