Le monastère du Saint-Précurseur de Mouch [Muş], adossé au mont K‘ark‘é [Bazmasar, Ciligöl] au nord-ouest de cette ville, à 38° 57’ N et 41° 11’ E, est non seulement le premier établissement monastique de la Taronide – le canton arménien de Darôn et la principauté dont il a été le centre – mais il est l’un des plus vastes et plus importants monastères de toute l’Arménie occidentale, et sans doute le plus réputé d’entre eux. C’est qu’il perpétue la tradition de la refondation de l’Église d’Arménie par saint Grégoire l’Illuminateur, dont la prédication, au début du IVe siècle, a entraîné la conversion du roi Tiridate IV (Dërtad) et de son royaume au christianisme ; cette prédication s’est tout particulièrement ancrée dans cette région, où aurait été élevée la première église fondée par l’Illuminateur, précisément à Achdichad, qui avait été auparavant l’un des grands sanctuaires de l’Arménie païenne (v. n° 57). Apportant en don les reliques du saint Précurseur Jean-Baptiste et de saint Athénogène, saint Grégoire les répartit non loin de part et d’autre de la vallée de l’Euphrate oriental ou Aradzani [Murat Çay], au nord dans ce qui deviendra le monastère du Saint-Précurseur, au sud dans celui de Saint-Jean (n° 56).
Dans cette région ainsi que dans plusieurs autres, la Maison de saint Grégoire et l’Église se verront concéder d’importants apanages, tandis qu’Achdichad restera le siège des premiers chefs de l’Église d’Arménie, qui, tous, appartiennent à la lignée de l’Illuminateur. Au Ve siècle, le Darôn fait partie des possessions des Mamigonian, dynastie qui fournissait au royaume d’Arménie les commandants en chef de l’armée ; cette famille était alliée depuis le IVe siècle à celle de saint Grégoire. Le catholicos saint Sahag le Grand (387-438), issu des deux familles et descendant direct de l’Illuminateur, est à l’initiative, avec saint Mesrob Machdots, né lui-même en Darôn, de la création de l’alphabet arménien, vers 405, sous le règne de Vramchabouh ; plus tard, après que le roi Artaxias IV (Ardachès) a été déposé en 428, le petit-fils de saint Sahag, Vartan Mamigonian, prendra la tête d’une insurrection générale contre les Perses et mourra pour la foi à la bataille d’Avarayr en 451. En raison de ces circonstances, le Darôn a peu à peu acquis dans la géographie sacrée de l’Arménie une place singulière, marquée aussi bien par l’œuvre et l’apostolat de saint Grégoire que par les combats successivement menés pour la langue, l’écriture et la défense de la foi. Parmi d’autres régions que l’Illuminateur a marquées de sa présence, le mont Sébouh [Kara Dağ], en Haute Arménie, se trouve associé aux épisodes de sa retraite et à sa mort (v. n° 44 à 47).
Vue générale nord-ouest, avant 1892 (Pisson, 1892, 23 [gravure, par Scott] ; Le Miroir, 5 mars 1916).
Trois fondations se relaient, après la ruine d’Achdichad, pour en perpétuer le symbolisme : le monastère de Saint-Jean (n° 56), doté d’une partie des offrandes de l’Illuminateur ; celui des Saints-Apôtres (n° 54), dont la dédicace aux Traducteurs désigne indubitablement les inventeurs de l’alphabet ; enfin, et surtout, le monastère du Saint-Précurseur (Sourp Garabed). Celui-ci, sans aucun doute établi sur un site antique, a été aussi, aux jours de l’Illuminateur, le lieu de retraite des anachorètes Antoine et Chronides, deux compagnons grecs de saint Grégoire. Cependant, la tradition veut que le premier supérieur du nouveau sanctuaire ait été le Syrien Zénop, dit Klag, dont le frère Lazare aurait, lui, dirigé celui des Saints-Apôtres. De là son autre nom : Klagavank‘, « Couvent de Klag ». Il porte encore le nom des montagnes qui l’abritent, les monts Innaguian, « Aux neuf sources », qui bordent au nord de Mouch la vallée de l’Euphrate oriental. Le prestige de ce monastère « grégorien » n’a fait que croître avec les siècles, au point qu’à la fête de la Transfiguration ou Vartavar, il rassemblait à l’époque contemporaine le plus grand pèlerinage d’Arménie occidentale, auquel prenait part des fidèles venus parfois de très loin. De Mouch, l’itinéraire des pèlerins passait habituellement par Karni [Ağaçlık], Hadj Manoug [Güzeltepe], Avzaghpiur [Özdilek], Kheybian [ Yoncalıöz], Meghdi [Yaygın] et Sordar [Aşağıyongalı] ; puis, longeant le mont Sergui [***], il empruntait le passage de Neghp‘oghan [***] pour monter jusqu’au replat de Havadamk‘ – du Credo – à quelque 2100 m d’altitude, d’où, le monastère étant dès lors en vue, l’on atteignait directement la porte sud de l’enceinte. Plusieurs autres itinéraires existaient.
Si l’Histoire du Darôn, rédigée dans les années 970 par un auteur qui se dissimule sous les traits de Jean (Hovhannès) Mamigonian, un prieur qui aurait vécu au VIIe siècle, ne fournit pas d’éléments suffisamment fiables sur l’histoire primitive de cet établissement, elle laisse cependant entendre que celui-ci, sûrement constitué d’un simple martyrium à l’origine, a été desservi jusque dans le deuxième quart du VIIe siècle par un clergé de langue syriaque. Cette Histoire réunit aux restes d’Antoine et Chronides ceux de sept ermites tués par les Perses à l’époque du prince Mouchegh Mamigonian († 604) – auquel elle attribue une première restauration du sanctuaire – et de son parent Kayl Vahan († 606). Tous deux sont ensevelis sur les lieux. On suppose que le Saint-Précurseur est déjà au VIIIe siècle le siège de l’évêché du Darôn, sans doute depuis qu’Achdichad a été ruiné par les Arabes. Grégoire (Krikor) Bahlavouni le Magistre († 1059), célèbre prince lettré, y installe dans les années 1040 son académie, dont l’abbé Serge (Sarkis) du Saint-Précurseur n’est autre que l’un des élèves. Il y fait construire aussi une résidence, et un narthex devant l’église, alors un édifice à charpente. En 1058, le monastère est la cible des troupes seldjoukides, qui l’incendient. Victorieux de ces derniers, T’ornig Mamigonian († 1072), gendre du Magistre et maître de la région, y sera plus tard inhumé à son tour.
Église Saint-Étienne : absidiole nord, 2014 (Coll. M. Gazarian).
Le martyrium ou l’église du Saint-Précurseur, reconstruite sous forme d’une nef à coupole, est certainement le plus ancien édifice du monastère, celui où ont été abritées les reliques du Précurseur et d’Athénogène, pour lesquelles ont été édifiés plus tard des tombeaux. Une grande ancienneté est également assignée à l’église de la Sainte-Mère de Dieu, située plus au nord, qu’une tradition invérifiable attribue au patrice Vart, un prince ardzerounide du VIIe siècle ; il l’aurait élevée en mémoire de son épouse, tuée pour avoir enfreint l’interdit fait aux femmes - qu’on a attribué au clergé syrien – de s’approcher du tombeau de Jean-Baptiste. À en juger par son plan, c’est aux Xe-XIIe siècles qu’a été construite entre ces deux églises celle de Saint-Étienne Protomartyr, pourvue d’un tambour et d’un dôme. À une date indéterminée, Antoine, Chronides et les sept ermites se sont vus élever pour leur part un martyrium, situé au sud de cet ensemble. Une chapelle de la Résurrection (Sourp Harout‘iun), plus tard prise dans les murs, vient aussi consigner sous son emprise les démons défaits par l’illuminateur. Aux XIIIe et XIVe siècles, le Saint-Précurseur, dont les abbés sont archevêques, est un scriptorium et lieu d’enseignement reconnu, où fait halte le savant et poète Jean d’Erzenga [Erzincan] (Hovhannès Erzengatsi, † 1293, v. n° 45 : « Les portes des Enfers furent fracassées/ En ce lieu des Neuf Sources elles furent renversées/ D’où furent éloignées les troupes des démons/ Où les anges à nos côtés sont venus se ranger »). Après la chute de Martyropolis ou Nëpërguerd [Mîyafarkîn, Silvan] en 1408, le monastère s’enrichit d’une importante partie des reliques conservées dans cette ville, le reste participant à la refondation en 1434 du monastère de la Sainte-Mère de Dieu à la Vue Étendue d’Arghën [Ergani] (n° 67).
L’influence du Saint-Précuseur de Mouch s’est étendue fort loin, au-delà même de la Taronide, jusqu’à Garin [Erzurum] et Erzenga [Erzincan], de sorte que de nombreux monastères qui se réclamaient directement ou indirectement de saint Jean-Baptiste, de l’Illuminateur ou de leur association symbolique, ont formé autour de lui un réseau. Cela a été le cas, par exemple, des monastères de Saint-David d’Abrank‘ (n° 40) et de la Sainte-Mère de Dieu Penché sur la Rivière (n° 60), ou encore du Saint-Précurseur de K‘ëghi [Kiğı] dont le prieur Melchisédech (Melk‘isset, 1442, 1450) a eu, semble-t-il, au Saint-Précurseur de Mouch – à la congrégation duquel il appartenait sans doute – son imposante stèle à croix (1460). C’est en ces années que l’abbé Jean (Hovhannès), mort martyr en 1463 à Paghèche [Bitlis], entreprend de restaurer l’église du Précurseur et celle de Saint-Étienne. Son œuvre est poursuivie en 1481 par l’abbé Baptiste (Mgrditch), qui rénove les trois dômes du Précurseur, de Saint-Étienne et de la Sainte-Résurrection, puis, sous l’abbatiat de son successeur, par Grégoire de Darôn (Krikor Darôntsi, † vers 1523-1524), moine bâtisseur qui s’est illustré au début du XVIe siècle en plusieurs autres lieux (v. n° 46 et 56). Celui-ci rénove le pavement des églises et de leur narthex, la moitié des cellules et l’économat ; surtout, il élève ou reconstruit autour du monastère une enceinte. Peut-être encore, la construction d’une nouvelle église, accolée au sud à celle du Saint-Précurseur et dédiée à saint Georges, est-elle l’œuvre d’un de ces prélats. L’époque est aussi marquée par la constance de l’activité scripturaire, représentée notamment par l’enlumineur et copiste Mardiros, que rejoint vers 1525 le poète et copiste Garabed de Paghèch (Garabed Paghichétsi), avant qu’il ne s’établisse au proche monastère des Saints-Apôtres (n° 54).
Le XVIe siècle ne semble pas avoir été ici une période de déclin malgré une pression accentuée sur les établissements monastiques. Avec l’aide de khodja Boudakh d’Ardjèche [Erciş], l’abbé Melchisédech II († av. 1563) augmente alors la superficie du narthex principal, qui sert déjà d’église et qu’il fait désormais reposer sur huit colonnes libres au lieu de quatre. La renommée du Saint-Précurseur le fait même pressentir comme un siège concurrent d’Édchmiadzin où l’on envisage d’installer Sahag IV (1624-1628), coadjuteur du catholicos en titre. Plus tard, il revient à l’abbé Arisdaguès II de rénover à partir de 1654 plusieurs parties du monastère : tambours et toits du Saint-Précurseur et de Saint-Étienne, alors recouverts de plomb ; enceinte ; fontaine ; grand portail aux portes lattées de fer ; église des Sept Ermites. Au début du XVIIIe siècle, l’arrivée au Saint-Précurseur de deux docteurs originaires de l’école d’Amirdol (n° 59), Jean le Petit (Hovhannès Golod), élu abbé en 1704, plus tard patriarche de Constantinople (Jean IX, 1715-1741), et Grégoire l’Enchaîné (Krikor Chëght‘ayaguir) qui deviendra, lui, patriarche de Jérusalem (Grégoire VII, 1715-1749), précède de quelques années le tremblement de terre de 1709, dont ils s’emploient à réparer progressivement les dommages, entreprenant aussi d’édifier devant le narthex un clocher. La renommée dont jouit alors le Saint-Précurseur de Mouch leur permet d’intéresser au financement de ces travaux Yaghoub amira Hovhannessian († 1752), l’un des grands marchands et changeurs arméniens de Constantinople, qui achèvera de restaurer l’ensemble du monastère. Au cours de ce siècle, deux de ses supérieurs, Abraham de Khochab [Hoşap] (Apraham Khochabétsi, 1716-1730) et Ménas d’Agn [Eğin] (Minas Agntsi, 1730-1749), accèderont aussi à Édchmiadzin à la dignité de catholicos de tous les Arméniens (Abraham II, 1730-1734, et Ménas Ier, 1751-1753).
Porte sculptée ayant probablement appartenu à l'église du Saint-Précurseur, datée de 1512 (Mutafian, 2012, II, fig. 212, coll. particulière).
Le XVIIIe siècle est cependant marqué en 1784 par un second tremblement de terre, qui provoque notamment l’effondrement du dôme de l’église Saint-Étienne, dôme que l’abbé Asdwadzadour reconstruit en l’espace de trois ans en même temps que le réfectoire, les logis, la muraille sud et plusieurs tours. Surtout, il augmente une nouvelle fois la superficie du grand narthex en le prolongeant vers l’ouest de huit colonnes supplémentaires, y intégrant la base du clocher précédemment édifié. Le bloc des sanctuaires et du narthex – lui-même devenu la plus vaste église – se voit doté alors d’un nouveau et somptueux clocher. Le Saint-Précurseur connaît des heures sombres au siècle suivant. En 1807 Youssouf Pacha fait assassiner le supérieur Hagop (Jacques) sur la route de Mouch. Puis, le 27 juin 1827 des bandes kurdes armées attaquent et pillent le monastère, s’emparant d’une grande partie de son trésor et des biens de la communauté, détruisant ou emportant la plupart des objets d’art et des tableaux, dont un grand Jugement dernier particulièrement admiré, et surtout, causant la perte de très nombreux manuscrits anciens, dont certains sont noyés, d’autres broyés au moulin. Après que le monastère est déserté six mois durant, le prieur Bédros (Pierre) de Gouraw [Şenobalı] reprend possession des lieux et tente de réparer les dommages, restaurant tout d’abord le tombeau de saint Jean-Baptiste. Le Saint-Précurseur redevient alors, comme il l’avait déjà été au tournant des XVIII-XIXe siècles, le siège d’un unique diocèse réunissant Mouch et Garin [Erzurum], ce qu’il restera jusque dans les années 1840.
De grands efforts seront accomplis par les prieurs qui lui succèderont pour relever le monastère, en dépit de nouvelles infortunes : tremblement de terre de 1866, nouveaux pillages kurdes en 1877 : 180 personnes, religieux et laïcs, constituent sa communauté en 1878. À noter, parmi ces initiatives, la réalisation de décorations intérieures et d’œuvres d’art, la reconstitution d’une bibliothèque, l’installation d’une imprimerie, la construction d’une école, ainsi que différentes rénovations auxquelles le Patriarcat arménien de Constantinople voudra bientôt consacrer un programme d’ensemble. Une place remarquable revient à ce titre au P. Mgrditch Khrimian (1862-1869), le « Petit Père » (Hayrig) du peuple, auparavant supérieur de la Sainte-Croix de Varak (n° 1), plus tard patriarche de Constantinople (1869-1873) puis catholicos d’Édchmiadzin (1892-1907), qui y publie l’Ardzwig Darôno, l’« Aigle du Darôn » ; à l’archevêque Mampré Mamigonian (1874-1882) qui reprend aux beys kurdes une partie de leur butin ; enfin au P. Karékin Srwantzdiants, d’abord vicaire de Khrimian et plus tard abbé (1888), administrateur compétent, le célèbre auteur de Frère Théodore, voyageur d’Arménie (Constantinople, 1879, 1884), long récit de ses pérégrinations de monastère en monastère et de bibliothèque en bibliothèque, compilation d’inscriptions et de colophons de manuscrits qui, la plupart, ont aujourd’hui disparu. Le dernier supérieur du Saint-Précurseur de Mouch a été le P. Vartan Hagopian, devenu titulaire du diocèse de Mouch en 1915 et mort martyr la même année. Aux heures du génocide, alors que le monastère servait déjà de garnison, une partie de la population des villages du piedmont se retira non loin sur les hauteurs du mont Sergui et dans les forêts à l’entour pour tenter d’échapper aux massacres. En 1916, quand les troupes russes atteignirent Mouch, l’armée turque et ses auxiliaires avaient déjà pillé et détruit une grande partie de ce lieu saint.
La juridiction du Saint-Précurseur de Mouch a longtemps englobé toutes les régions a l’entour – s’étendant parfois jusqu’à Garin/Erzeroum – avant que Mouch ne se constitue en archevêché. Celui-ci regroupait en 1910, 332 localités et 230 églises. Le monastère du Saint-Précurseur était abondamment doté en terres arables et en pâturages. Du Saint-Précurseur dépendaient aussi les prieurés de Saint-Daniel, près de Gop‘ [Bulanık] (n° 58), et de Madravank‘ ou Madnavank‘ situé au nord de Mouch à proximité du village de Tsëkhdou [***], qui avait dans sa propre dépendance, sur l’emplacement de l’antique Achdichad, à Dérig [Yücetepe], la chapelle funéraire de saint Sahag (n° 57). Une collection de 12 manuscrits anciens, datés de 1368 à 1727, avait été reconstituée avant la Grande Guerre dans la bibliothèque du Saint-Précurseur ; deux autres, datés de 1324 et 1593, étaient conservés au prieuré de Saint-Daniel.
Le monastère du Saint-Précurseur de Mouch ou Klagavank‘ comprenait :
Églises, narthex et clocher : plan.
• Le maryrium ou l’église du Saint-Précurseur (A), mononef à coupole longue d’environ 10 m à l’intérieur, édifiée après 1058 sur un premier sanctuaire restauré au tournant des VI-VIIe siècles. L’abside était flanquée à l’origine de deux absidioles étroites. Restaurée dans les années 1460 et en 1481, puis en 1576, 1654 et 1709, l’église du Saint-Précurseur avait été dotée d’un tambour octogonal à décor d’arcatures et d’une coiffe pyramidale qui furent à nouveau rénovés en 1901-1902. La partie occidentale de la nef abritait à l’angle nord-ouest le reliquaire et tombeau de saint Jean-Baptiste (A1), au-dessus duquel avait été édifié dans les années 1830 un baldaquin à deux niveaux, à colonnes baguées de marbre blanc ; celui de saint Athénogène occupait l’angle sud-ouest. La plateforme du chœur était décorée en façade d’une série de stèles à croix datées de 1718. L’autel était doté de hautes boiseries sculptées, peintes et dorées, exécutées par les frères Sarkis et Nigoghos de Van en 1839. C’est sans doute à l’église du Saint-Précurseur qu’a appartenu un porte sculptée datée de 1512 (ou 1312 ?), sauvée de la destruction et entrée désormais dans une collection particulière.
• L’église Saint-Étienne (B), édifice en croix inscrite et à dôme d’environ 10 × 10 m à l’intérieur, à grandes niches latérales sous arcatures donnant à l’est dans des absidioles et à chambres latérales occupant les deux angles occidentaux, élevée entre le Xe et XIIe siècle au nord de la précédente dans son exact alignement. Comme celle-ci, elle a été restaurée dans les années 1460 et en 1481 ; également en 1654. On y accédait par une porte incrustée d’ambre et d’ébène datée de 1526. Le tambour – octogonal – et la coiffe ont été reconstruits en 1784-1787 sur le modèle de ceux de l’église du Saint-Précurseur et rénovés en 1901-1902. Les mêmes sculpteurs et décorateurs sur bois originaires de Van en avaient garni l’autel d’imposantes boiseries en 1842.
• L’église de la Sainte-Mère de Dieu (C), mononef voûtée en berceau à abside saillante, longue d’environ 11 m, datée traditionnellement du VIIe siècle. Elle abritait la sépulture du prieur Étienne (Sdép‘anos) (C1), le fils du patrice Vart, constructeur supposé de l’église, ainsi que deux stèles à croix des XIe et XIIe siècles élevées à la mémoire de moines philosophes. Beaucoup plus tard, cette église s’est vue agrandie d’un narthex avec lequel elle a formé d’est en ouest un bloc d’environ 18,5 m. Après le tremblement de terre de 1866, ce narthex n’avait pu être que sommairement réparé. On réservait l’église de la Mère de Dieu aux Assyro-Chaldéens les jours de pèlerinage.
• L’église Saint-Georges (D), mononef voûtée en berceau accolée probablement au XVIIe siècle à la façade sud de l’église du Saint-Précurseur, longue d’environ 18 m. Elle communiquait au nord avec un oratoire aménagé dans le mur sud de cette église, dont avait été aussi annexée à cette fin l’une des absidioles. Restaurée en 1844 mais fissurée par le tremblement de terre de 1866, l’église Saint-Georges n’avait pu être consolidée avant la Grande Guerre. Elle servait de bibliothèque.
• Le narthex ou l’église principale (E). À un premier narthex élevé ou restauré vers le milieu du XIe siècle devant le martyrium du Précurseur Jean-Baptiste, a succédé un narthex à quatre colonnes libres commun aux églises du Saint-Précurseur et de Saint-Étienne, agrandi en 1560 de quatre colonnes supplémentaires puis, entre 1784 et 1789, de huit autres colonnes libres. Avec seize colonnes monolithes et seize piliers engagés surmontés d’arcs, qui délimitaient cinq nefs et cinq travées, ce narthex est devenu l’église principale du monastère, dans laquelle toutes les autres se sont trouvées imbriquées. Il a été doté dès avant le XVIe siècle d’un autel central dédié à la sainte Croix occupant l’emplacement de la chambre sud-ouest primitive de l’église Saint-Étienne, puis de deux autres situés aux extrémités de la première et de la cinquième nef. L’autel central, dont la plate-forme s’ornait de stèles à croix du début du XVIIIe siècle, était surmonté d’un baldaquin décoré de peintures et dorures exécuté dans les années 1830 par le peintre Mardiros de Van. Cette église-narthex, progressivement agrandie, avait englobé plusieurs monuments vénérés et réputés antiques : la tombe de Mouchegh Mamigonian (E1), celles de Kayl Vahan (E2) (à l’entrée du martyrium du Précurseur) et de son fils Sempad Mamigonian (E3) (à l’entrée de Saint-Étienne), trois personnages du VIIe siècle ; celles de T‘ornig Mamigonian (E4) (1072) et d’autres princes de la même famille (E5) ; des sépultures de religieux. Après le sac, deux nouveaux icônes avaient trouvé place près de l’autel central, en face duquel un nouveau trône abbatial avait été confectionné en 1839. Dans les années 1860, colonnes et murs avaient été peints et décorés en vert, rouge et bleu, par les soins du P. Srwantzdiants. *[avaient reçu un décor polychrome]
• Un clocher (F) à trois niveaux, à multiples éléments sculptés et à rotonde, construit en 1787, rénové en 1799 et en 1902. Ce clocher a remplacé un précédent clocher, édifié au début du XVIIIe siècle. Célèbres, les cloches du Saint-Précurseur de Mouch l’ont fait appeler en turc Tchangli [Çengilli-Çanlı kilise], le monastère « Aux sonneries ».
• Devant le clocher, un parvis, délimité par une grille.
• Une première enceinte à tours, élevée au début du XVIe siècle, remaniée, délimitant la cour principale ou khatchpag, autour de laquelle étaient alignés sur deux niveaux les communs : prélature, réédifiée en 1889 ; économat ; logis ; four à pain ; réfectoire (H) ; moulin ; grenier ; cellier ; bücher ; bains ; écoles (1850 et 1876) ; logements des pèlerins adossés à la muraille nord, construits en 1825. Derrière le chevet des églises étaient les tombes des supérieurs, parmi lesquelles se distinguait la grande stèle à croix de l’évêque Melchisédech (1460).
• La chapelle de la Résurrection (G), située au sud-ouest, édifice à tambour rond et coiffe conique, élevée sur une crypte, mentionnée au XVe siècle à l’occasion d’une première restauration, dotée vers 1880 d’un petit narthex en bois. Cette chapelle était englobée dans une longue cour, comprenant aussi une fontaine, dans laquelle donnait le grand portail sud du monastère et par laquelle on accédait à la cour des églises.
• Une deuxième enceinte édifiée en 1864-1865. Elle délimitait à l’ouest la cour de la chapelle de la Résurrection et, au nord, une nouvelle et plus vaste cour dans laquelle s’alignaient la grange, les écuries et les logements des palefreniers. C’est là que se trouvait aussi, sous une double arche, la fontaine thaumaturge de l’Illuminateur, restaurée en 1654.
Plan du monastère(d’après Astuacaturean).
Hors des murs :
• Au-delà de la muraille sud, le cimetière des moines, où s’élevait, parmi d’autres pierres, une stèle à croix des XIIe-XIIIe siècles.
• Près de la muraille sud également, la chapelle funéraire d’Antoine et Chronides et des sept ermites, restaurée en 1654.
• Le Ferme dite du Dôme d’en Haut (Vérin Kmpet‘), établie au milieu des terres du monastère situées à proximité du village de Gwars [***], au nord-ouest du mont K‘ark‘é, composée d’une bergerie et d’étables.
• La Ferme Haute (Vérin P‘aguiah), située à peu de distance en contrebas de la muraille est sur le replat d’Arévélatzor, entourée d’une haute enceinte édifiée dans les années 1775-1780. Elle comprenait une grange à grand porche et à piliers rénovée en 1905, des étables, un moulin à huile, des habitations, ainsi qu’une chapelle – Saint-Serge – restaurée au tournant des XVIIIe-XIXe siècles.
• Les habitations troglodytiques des moines ermites, creusées dans la roche au pied du replat de Havadamk‘, et du côté sud, au milieu des bois.
• La Ferme Basse (Nerk‘in P‘aguiah), située an sud-est du monastère en bordure de plaine, entre Meghdi et Sordar. Elle comprenait une vaste bergerie à piliers, rénovée en 1902, un triple moulin à eau construit en amont alimenté par les eaux descendant du monastère et du village de Sahag-Pazou [Bilek], et la chapelle Saint-Paul, restaurée au début des années 1900.
Les ruines du monastère du Saint-Précurseur, déjà en partie démoli par l’armée turque en 1915, ont été confisquées et laissées à l’abandon. Encore visibles dans les années 1970, elles ont servi systématiquement de carrière. Les autorités y ont installé par la suite, comme en beaucoup d’endroits, des populations déplacées qui ont exploité le reste des décombres pour bâtir au milieu d’elles des habitations de fortune. Il ne reste de nos jours que quelques pans de murs et parties de voûtes de cet exceptionnel ensemble.
Mrmrian, 1906, 9-10. Loussararian, 1912, passim. A.To, 1912, 113-115. Kossian, 1925-1926, I, 116-128. Oskian, 1953, 134-244. Chahnazarian, 1956, 25-27. Oskian, 1962, 173. Mouradian & Mardirossian, 1967, 106-107, 218-219. Thierry, 1983, 388-398. Decgants, 1985, 55-62. Der Garabédian, 2003, 19-60. Greenwood, 2014, 377-392.