Le monastère de la Sainte-Mère de Dieu d'Armache est situé en Asie Mineure occidentale, à 25 km au nord-est de Nicomédie [Izmit], à 40°50' N et 30°11' E. Il était construit sur une éminence, près du village arménien d'Armache [Akmeşe], et entouré de beaux jardins.
Bien qu'une présence arménienne existât à Armache au XVe siècle, il est communément admis que sa population était surtout composée de descendants des nombreux Arméniens orientaux qui étaient arrivés dans la région de Nicomédie et de Brousse [Bursa] à l'époque des guerres turco-persanes des XVIe-XVIIe siècles, et notamment en 1608. Cet accroissement de la population arménienne, de même que le développement économique qui en a résulté, rendait nécessaire l'établissement dans la région d'un centre spirituel et d'un lieu de pèlerinage : ce lieu allait être le monastère d'Armache.
Vue générale du monastère d'Armache. (CPA coll. privée).
Le monastère est fondé en 1611 – selon son propre témoignage – par le docteur et annaliste Grégoire de Taranaghi ou de Gamakh [Kemah] (Krikor Taranaghtsi ou Gamakhétsi, 1576-1643), qui avait été auparavant le co-fondateur de l’église arménienne de Rodost‘o [Tekirdağ], en Thrace. Cette initiative est attribuée ailleurs à l'évêque Thadée (T‘atéos), premier titulaire du diocèse d'Armache, diocèse auquel sont alors rattachées les églises de nombreuses localités environnantes : Geyve, Bazar [Pazar], Sölöz, Gürle, Bandırma, Balıkeser [Balıkesir], Kirmasti [Mustafakemalpaşa] et Biğa [Biga]. En 1786 toutefois, commence une nouvelle période pour Armache, avec l'institution par l'archevêque Part‘oughiméos Gaboudiguian d'une congrégation et d'une école. Cependant ce n'est qu'à partir des années 1860 que le monastère parvient à jouer le rôle fondamental qui restera le sien auprès des Arméniens de Turquie jusqu'au déclenchement de la Grande Guerre. L'établissement se dote en 1864 d'une imprimerie et publie la revue Houys, « Espoir ». En 1866 le monastère d'Armache se sépare du diocèse de Nicomédie auquel il avait été rattaché et se constitue en siège abbassial autonome. Artisan principal de ce changement, le P. Kévork Aliksanian devient archêveque d'Armache en 1869. Il achève en 1872 la construction d'une nouvelle église, lancée dès 1866. Son successeur Khoren Achëkian (1872-1888) y fonde un internat, l'école Ghevontiants. Le succès de cet établissement, le développement de l'imprimerie dotée de nouvelles machines importées d'Europe, et le potentiel intellectuel rassemblé sur place font de ces années une période prometteuse. Les conséquences de la guerre russo-turque de 1877-1878 sont cependant désastreuses pour Armache : fermeture de l'école et arrêt de la publication de « Houys » en particulier.
Fête de la Sainte-Croix, présidée par le patriarche Eghiché Tourian (BNu).
En dépit de grandes difficultés et de moyens modestes, l'archevêque Khoren Achëkian réussira à redresser le monastère, à rouvrir l'école et conduire Armache à son apogée. Cependant le 27 septembre 1888 un grand incendie ruine une partie notable du village d'Armache, ainsi que la partie sud du monastère, qui abritait l'école Ghevontiants. Mais l'accession au patriarcat de Mgr Khoren Achëkian (Khoren Ier, 1888-1894) aussitôt après cet évènement permettra de réparer rapidement ces dommages. Le monastère d'Armache étant directement rattaché au patriarcat depuis 1866, le patriarche Khoren peut réaliser son ambition d'en faire un grand centre intellectuel, une « Venise des Arméniens de Turquie », en référence au rôle que cette ville avait joué depuis le XVIe siècle dans le développement de l'imprimerie et des lettres arméniennes en Europe. Or le patriarcat arménien de Constantinople est devenu au XIXe siècle, notamment avec la promulgation de la Constitution nationale arménienne en 1863, une institution centrale dans la vie religieuse, politique et culturelle des Arméniens de l'empire Ottoman : l'ouverture d'un séminaire moderne était donc indispensable à la formation des cadres religieux et intellectuels de la nation arménienne dans les frontières de l'Empire. C'est ainsi qu’est inauguré en 1889 à Armache le grand séminaire du patriarcat arménien de Constantinople.
Remplaçant du patriarche Khoren à la tête du monastère d'Armache, l'archevêque Maghakia Ormanian y entreprend de grands travaux : édification d'un grand bâtiment pour abriter le séminaire, dont la direction est confiée au P. Eghiché Tourian ; construction de plusieurs bâtiments communs et ouverture d'un atelier de sériciculture ; plantation de vergers à mûriers ; installation d'un moulin à eau. Son service de sept ans (1889-1896) constitue l’épisode le plus brillant de la vie de cette institution. Les massacres de 1895 brisent temporairement cet élan : Ormanian et Tourian – mais aussi de nombreux enseignants et élèves – doivent quitter Armache, où leur intérim est assuré par le P. Nersès Der Partoughiméossian. Pendant cette période de tension et d'insécurité, les pèlerinages se feront plus difficiles et rares. Avec l'élection d'Ormanian au patriarcat en 1896, le monastère d'Armache se voit accorder une subvention patriarcale mensuelle, grâce à laquelle son activité peut progressivement reprendre. Désormais archevêque, Eghiché Tourian – qui sera plus tard patriarche de Constantinople en 1909 et de Jérusalem en 1921 – en prend la direction en 1898, direction qui passera de 1904 à 1907 entre les mains du P. T‘orkom Kouchaguian, lui-même appelé à succéder en 1929 à Mgr Tourian à Jérusalem. Les bouleversements qui accompagnent la révolution jeune-turque de 1908 touchent également Armache, provoquant un ralentissement subit de son activité. Il revient au P. Papguen Gulésserian, futur coadjuteur du catholicos de la Grande Maison de Cilicie, Sahag II (v. n° 73), de stabiliser la situation et d'insuffler un nouvel élan à cette institution. Ce travail sera poursuivi jusqu'en 1915 par l'entreprenant P. Mesrob Naroyan.
Mosquée édifiée à l’emplacement du bâtiment du séminaire et fontaine, 2011 (Coll. Zakarya Mildanoğlu).
Les enseignants et pensionnaires d'Armache ont joué un rôle considérable dans la vie intellectuelle et religieuse des Arméniens de l'empire Ottoman, fournissant à la nation arménienne de Turquie un très grand nombre d’ecclésiastiques dévoués et de cadres. Avec la fondation en 1889 d'une nouvelle bibliothèque, Armache était devenu aussi un centre culturel de premier plan. On y conservait en 1904 223 manuscrits anciens, chiffre qui avait déjà doublé en 1914. Le génocide des Arméniens a non seulement entraîné la déportation en 1915 de toute la congrégation d'Armache mais causé la destruction des inestimables richesses qui y avaient été rassemblées.
Le monastère d'Armache comprenait :
• L'église de la Sainte-Mère de Dieu fondée en 1611, rénovée en 1720 puis à la fin des années 1790, et à nouveau en 1820 après qu'elle avait été saccagée en 1804 par des bandes de pillards. Cette église a été entièrement reconstruite entre 1866 et 1872 et a vu sa toiture rénovée en 1908-1909. Un clocher à rotonde lui avait été adjoint en 1892, à l'angle sud-est. On y admirait un portrait italien de la sainte Vierge.
• Le bâtiment du grand séminaire, édifié en 1889 à l'emplacement d'une précédente école, elle-même fondée en 1786.
• L'hôtellerie, vaste bâtiment de quarante logements élevé en 1890 à l’emplacement d'édifices plus anciens détruits par l'incendie de 1888.
• Un moulin à eau – dit moulin des Oundjian, du nom des frères Apig et Mat‘ous Oundjian, bienfaiteurs d’Armache – installé dans les années 1890 et pourvu en 1911 et 1913 d'une machinerie moderne.
Le moulin du monastère (BNu).
• Un atelier de sériciculture installé dans un bâtiment édifié en 1892.
• Un bibliothèque-musée construite en 1911 pour abriter les collections précieuses du monastère.
• Une fontaine, édifiée en 1827.
• Des hangars agricoles et un potager réamenagés en 1910.
• Des vergers à mûriers.
• Une ferme construite en 1863, dont l'accès avait été facilité par un nouveau pont en bois édifié en 1912.
Séminaristes dans le réfectoire (BNu).
Grand lieu de pèlerinage, Armache n’attirait pas seulement les fidèles venus de la région de Nicomédie. On s’y rendait depuis Iconium [Konya], Smyrne [Izmir], Kütahya, Brousse, [Bursa] ; ou encore depuis Constantinople [Istanbul], Andrinople [Edirne], et même Philippopolis/Plovdiv, en Bulgarie. Pillé en 1915, le monastère d’Armache a été confisqué après la Grande Guerre et livré au tout-venant. La destruction de l’église et des bâtiments adjacents a été entreprise dès l’occupation des lieux par les Kémalistes, dans les années 1923-1924 ; une partie des murs restants a été alors utilisée pour élever à son emplacement une première mosquée, remplacée en 1994 par un nouvel et plus vaste édifice. Le bâtiment du séminaire était encore debout dans les années 1990. Endommagé par le tremblement de terre de 1999, il a été démoli la même année. À l’abandon et en ruines, une petite partie des bâtiments communs, abritant notamment l’ancienne salle d’imprimerie, était toujours visible en 2011. Elle avait longtemps servi de décharge. À cette même date étaient également visibles la fontaine et, plus loin, le bâtiment du moulin, laissé à l’abandon.
Épriguian, 1903-1905, I, 313-315. Armache, 1914, passim. Minasyan, 2000, 32-39. Özkan, 2000, 32-35.