Le monastère de la Sainte-Mère de Dieu à la Belle Vue est situé à 38° 12’ N et 39° 17’E, à une courte distance de Tchënk‘ouche ou Chenk‘ouche [Çüngüş], sur une colline surplombant la rivière qui borde cette localité à l’est, face à la montagne de Dzovar [***].
À cet emplacement, qui avait été celui d’une chapelle et de quelques logis, le prieur Paul de Dchermoug [Çermik] (Bôghos Dchermougtsi) fonde en 1561 une communauté monastique. En réalité il y transporte le siège de l’évêché de Tchënk‘ouche et d’Adich [Değirmensuyu], jusque là fixé au monastère de Hassaran, alors constamment exposé aux attaques des bandes armées, tandis qu’à Tchënk‘ouche il plaçait l’évêché sous la protection d’un bourgmestre arménien. Par la suite, du XVIIe au XIXe siècle, le monastère fera l’objet d’agrandissements et d’embellissements. Jean Ier de Tchënk‘ouche (Hovhannès Tchënk‘ouchetsi, † 1643) l’entoure d’une enceinte. L’abbé Minas d’Amida (Dikranaguerd [Diyarbakır], 1679), devenu en 1698 patriarche arménien de Jérusalem, y place son neveu l’archevêque Jean II en même temps qu’il dote le monastère. L’université monastique de la Sainte-Mère de Dieu de Tchënk‘ouche, active de 1593 à 1680, aura formé auparavant les maîtres de plusieurs autres grands docteurs, comme les patriarches de Jérusalem Asdwadzadour III (1647-1666) et Éliazar Ier d’Aïntab [Antep] (Éghiazar Aynt‘abtsi, 1666-1682), ce dernier catholicos d’Édchmiadzin de 1682 à 1691. Au XVIIIe siècle, les abbés Nicolas (Nigoghayos, † 1756) et Gaspard (Kaspar, † 1788) se signalent par leur activité : le premier gratifie l’établissement d’une prélature, d’une salle d’audience et de portes de fer ; le second en restaure l’enceinte est, construit un moulin et une fontaine extérieure. Il revient à Jean III († 1792) d’édifier des logis pour les pèlerins et une fontaine intra muros. Un mémorial écrit à son époque par le moine Moïse (Movsès) retrace l’histoire du monastère.
Après que l’abbé Garabed d’Adich (Garabed Adichétsi, 1792-1836) a doté le monastère d’une haute et nouvelle enceinte, l’abbé Baghdassar Dikranaguerdtsi (ou de Dikranaguerd [Diyarbakır], 1836-1841, 1847-1863), en reconstruit entièrement l’église. Ce prélat entreprenant, dont le noviciat s’était déroulé dans l’ermitage de l’île de Gdouts (n° 2), avait été d’abord à Arghën [Ergani] le supérieur de la Sainte-Mère de Dieu à la Vue Étendue (n° 67), proche monastère où lui-même était né. La nouvelle église, dont la construction est confiée à l’architecte Hovhannès Mélidinatsi (ou de Mélitène [Malatya]), est achevée avec ses dépendances en 1841. Non sans difficultés, l’abbé Baghdassar reconstruit également les églises paroissiales de Tchënk‘ouche et d’Adich – à partir de 1857 et 1870 respectivement – travaux qu’il confie au même architecte. À son époque sont également restaurés la prélature et le réseau hydraulique, et le nombre des logis porté à une trentaine ; une salle de musée est aussi créée. Ce même Baghdassar rénove l’alimentation en eau des quartiers du bourg de Tchënk‘ouche. Le monastère est pillé et incendié pendant les massacres de 1895. Le P. Ézéguiel Archagouni, primat de Dikranaguerd, diocèse *auquel Tchënk‘ouche est désormais suffragant en même temps qu’Arghën et Palou [Palu] (le siège du nouvel évêché est fixé à la Sainte-Mère de Dieu à la Délectable Vue, n° 66), y réédifie un autel et rouvre le monastère en septembre 1908, sans être toutefois en mesure de le rénover. Celui-ci est à nouveau pillé en 1909 pendant une tentative d’étendre à cette région les massacres qui ont lieu en Cilicie. Le projet d’y établir un collège ne peut se réaliser avant la Grande Guerre. Nommé en 1908, le dernier prieur du monastère de Tchënk‘ouche a été le P. Éghia Kazandjian, *mort martyr en 1915.
Le monastère de la Sainte-Mère de Dieu à la Belle Vue comprenait l’église de la Mère de Dieu, secondairement dédiée à saint Ménas et saint Georges, édifice triabsidial en croix inscrite à quatre appuis libres et à tribune construit en 1841, précédé d’un narthex et flanqué au sud d’une chapelle-sacristie dédiée à Saint-Grégoire l’Illuminateur ; une enceinte à laquelle étaient adossés une trentaine de cellules et de logis, les bâtiments abritant la prélature et le musée ; une fontaine et un bassin situés dans la cour ; un cimetière situé hors des murs. Son trésor comprenait des manuscrits, des vaisseaux et des reliques, dont une dextre de saint Ménas. Le monastère possédait aussi des terres arables, des vergers et un moulin.
Confisqué après la Grande Guerre, le monastère de la Sainte-Mère de Dieu à la Belle Vue a vu ses biens accaparés. En 2008, tous les bâtiments communs et le narthex avaient disparu. L’église, toujours debout, est extrêmement endommagée, plusieurs voûtes menaçant de s’effondrer. Des destructions volontaires sont en outre visibles sur des éléments de soutien. Des richesses qui y étaient conservées, seule la dextre orfévrée de saint Ménas a pu être sauvée : elle est conservée aujourd’hui au monastère patriarcal de Saint-Jacques de Jérusalem, dont elle fait partie du trésor.
Oskian, 1962, 200-213. K. Kévorkian, 1970, 105-165.