Également appelé Monastère de Hav(k‘) ou Havav [Ekinözü] en raison de la proximité de ce village, le Monastère de la Sainte-Mère de Dieu « à la Délectable Vue » tient ce nom de sa position sur le flanc nord de la vallée de l’Euphrate oriental ou Aradzani [Murat Suyu], d’où il domine, à 38° 46’ N et 39° 52’ E, toute une partie de la plaine de Palou [Palu].
Sans doute en considération de l’appareil extérieur du bloc absidial de l’église, on a attribué à ce monastère une grande ancienneté. L’inventaire patriarcal de 1913-1915 place sa fondation en 1223. Son scriptorium est cité dans les manuscrits à partir de 1468, et continuera de l’être jusqu’au milieu du XVIIIe siècle (mémoriaux de 1518, 1576, 1642, 1645, 1661, 1698 et 1739). Deux archevêques apparaissent parmi ses abbés dans la première moitié du XVIIe siècle : Siméon, mentionné en 1623, et Georges (Kévork), cité en 1645 comme l’auteur d’importants travaux de rénovation, lesquels ont très probablement concerné aussi la localité de Havav. Des rénovations ont également eu lieu au XVIIIe siècle puis à l’époque contemporaine, à l’initiative du P. Eznig Kalpakdjian, primat diocésain de 1898 à 1903. Les primats du diocèse de Palou (Palahovid) étaient généralement, mais non systématiquement, les supérieurs de la Sainte-Mère de Dieu, qui abritait le siège de la prélature avec, dans sa dépendance, 41 localités et 40 églises. Au début du XXe siècle, ce diocèse avait momentanément englobé les diocèses voisins de Chenkouche ou Tchënkouche [Çüngüş] et d’Arghën [Ergani] (12 localités et 14 églises). La liste unique des abbés de la Sainte-Mère de Dieu et des primats du diocèse de Palahovid a été en grande partie reconstituée de 1437 à 1915. Le dernier titulaire de ce siège a été le P. Eznig Kalpakdjian (second mandat) simultanément abbé du Monastère de la Sainte-Mère de Dieu « à la Belle Vue » (Sirahayiats Sourp Asdwadzadzin) de Tchënkouche, mort martyr en 1915.
Intérieur, angle sud-est, 2011 (OTC).
La Délectable Vue se compose de l’église de la Sainte-Mère de Dieu, édifice en croix inscrite et à coupole, restaurée dans les années 1630-1640 par les soins de l’archevêque Georges, de communs adossés à une grande enceinte, comprenant plus d’une vingtaine de logis et de cellules, et, au sud de l’église, du petit cimetière des moines. Le monastère a aussi abrité temporairement un orphelinat et une école. Dans l’église, dont les deux portes étaient bardées de fer, était conservée une icône ancienne. Hormis une collection de 328 pièces de dinanderie et de mobilier, le monastère possédait des archives et des manuscrits. Son vaste domaine, estimé à quelque 2000 ha (un périmètre de plus de trois heures à pied), comprenait des chênaies et peupleraies, des champs et prairies, et, non loin des murs, côté nord, un bassin et un moulin à eau.
Dans la localité même de Havav, l’église dite cathédrale (Gat‘oghigué ), qui accueillait l’archevêché au même titre que le monastère, a dû constituer une dépendance de ce dernier. Les fontaines monumentales situées à proximité, sans doute construites dans les années 1635-1645 mais restaurées en 1764 par un nouvel abbé Georges (Kévork), et à nouveau en 1904 pour l’une d’elles, en ont certainement relevé.
Plan (d’apres J.M.Thierry).
Confisqué après 1915, le monastère a vu son domaine accaparé tandis que ses bâtiments étaient pillés et laissés à l’abandon. L’enceinte subsiste mais tous les communs ont disparu. De l’église, volontairement détruite, il ne reste que des ruines, notamment celles du bloc absidial ; le cimetière a été ravagé.À Havav même, l’église cathédrale, mononef triabsidiale d’environ 12,5 m × 9,4 m dont le toit en bâtière était encore visible dans les années 1970, est aujourd’hui dépourvue de couverture et à l’état de ruines. En revanche, une initiative de l’avocate Fethiye Çetin, dont la grand-mère arménienne était originaire du village, a permis en 2012 de remettre en état et de restaurer entièrement les deux fontaines proches, sous l’égide des Monuments Historiques et avec le concours de la Fondation Hrant Dink.
Oskian, 1962, 214-221. Thierry, 1998-2000, 329-358. K. Kévonian, 2014, 413-428.Khatchadourian et al., 2016, 102-103.