Si la tradition place au sanctuaire d’Édchmiadzin, à Vagharchabad, le siège primitif de l’Église arménienne, elle admet aussi que les premiers chefs de cette Église, ceux qui appartenaient à la lignée de saint Grégoire l’Illuminateur, pourraient avoir résidé à Achdichad (n° 57), en Taronide. Peut-être indéterminée à l’origine, leur résidence s’est fixée par la suite en différents autres lieux au gré des vicissitudes politiques, entre autres à Twin (=Dwin), Ani, Aght‘amar (n° 17) ou encore Hromgla [Rumkale], sur l’Euphrate, non loin d’Édesse/Étessia [Urfa]. Dans la deuxième partie du XIIIe siècle, alors que la dissidence d’Aght‘amar n’avait pu être réglée, les catholicos d’Arménie résidaient dans la forteresse de Hromgla, sous la protection des princes Pahlavides (Bahlavouni). L’occupation de cette place en 1292 par les Mamelouks les obligea à s’installer à Sis [Kozan, 37°26' N, 35°48' E], capitale du royaume arménien de Cilicie.
Siège catholicossal, vue générale nord-est (©Bibliothèque orientale de l'USJ).
Nous savons qu’en 1226 le roi Hét‘oum Ier avait édifié à Sis, au pied de la citadelle et sans doute dans l’enceinte même de son palais, l’église à coupole Sainte-Sophie (Sourp Sop‘ia), mais ce n’est pas nécessairement en ce lieu, voire en de l’église Sainte-ocEdchmiadzin élevée en 1197 par le futur Léon Ier, que s’installèrent les catholicos en rejoignant Sis. En 1423, Paul II de Karni (Boghos Karnétsi, 1419-1428) y fit construire ou peut-être rénover un couvent placé sous le vocable de Sainte-Anne et la protection de la dextre de l’Illuminateur – l’Ancien Couvent – qui leur servit de résidence avant que l’église Sainte-Sophie ne devienne église patriarcale. La chute de Sis et de la royauté en 1375, à laquelle survécurent toutefois des seigneuries, mit le catholicossat aux prises avec les émirats turcomans vassaux de l’Égypte qui lui succédèrent. Sis, en particulier, passe aux mains des Ramadanides. Le catholicos Théodore II de Cilicie (T‘éotoros Guiliguétsi, 1382-1392), à la suite d’intrigues impliquant certainement le parti arménien latinophile, est empoisonné par l’émir Ömer, qui fait exécuter aussi de nombreux notables. En 1401 Sis est ravagé par Tamerlan, et retourne probablement aux Arméniens avant d’être cédé en 1404 aux Ramadanides. Dans un environnement simultanément marqué par l’instabilité politique et, au sein même de l’Église, par l’opposition entre courants traditionaliste et latinophile, plusieurs catholicos connaîtront une mort tragique. Dans le deuxième quart du XVe siècle, le trône patriarcal est occupé par Grégoire IX Moussabéguiants (Krikor Moussabéguiants, 1439-1442). C’est sous son catholicossat qu’à l’initiative des docteurs orientaux conduits par Thomas de Médzop‘ (T‘ovmas Médzop‘étsi, † 1447, v. n° 9), un synode improvisé décidera de transférer de Sis à Édchmiadzin le siège de l’Église d’Arménie.
Cette décision, à laquelle n’avait pas contribué Grégoire IX et à laquelle il n’avait pas adhéré comme toute une partie de son Église, conduisit ses auteurs, après le refus du catholicos de quitter Sis, à élire un nouveau catholicos à Édchmiadzin en la personne d’un élève de l’école d’Ardzwaper (n° 7), le moine Cyriaque de Khor Virab (Guiragos Virabétsi). En levant l’anathème qui pesait sur Aght‘amar (v. n° 17), mais plus généralement en raison de sa probité, celui-ci sut forcer l’estime ; cependant sa destitution en 1443 à la suite des menées d’une partie du clergé oriental dont il devenait inutile au dessein, et son remplacement par Grégoire X de Magou (Krikor Magwétsi, 1443-1466) sur le nouveau siège d’Édchmiadzin, rendirent la fracture définitive. Dénonçant une usurpation, les docteurs occidentaux donnèrent en 1444 à Sis un successeur à Grégoire IX, en élevant à la dignité patriarcale l’évêque d’Eudocie [Tokat], Garabed (Garabed Evtoguiatsi, 1444-1477, v. n° 72). Garabed d’Eudocie inaugure une lignée de catholicos établis à Sis, dont il est convenu de noter la succession dans un ordre distinct : deuxième du nom, Garabed d’Eudocie devient ainsi Garabed Ier de Cilicie, ou de Sis. Les catholicos demeurés à Sis continueront longtemps de s’affirmer catholicos « de tous les Arméniens » (aménayn Hayots), titre que s’approprieront les détenteurs du nouveau siège d’Édchmiadzin, mais que revendiqueront aussi dans certaines circonstances les catholicos d’Aght‘amar.
Quartier du catholicossat, vue est (Archives départementales de l’Eure, 36 Fi 819, fonds Gabriel Bretocq 1918-1922).
Garabed Ier s’installe à Sis au couvent de Sainte-Anne. Son pontificat est marqué en 1461 par le soulèvement de Sis contre un autre émir Ömer, au cours duquel le couvent patriarcal est pillé, et en 1468 par la prise de Sis par l’émir insurgé de Marache [Maraş], le Doulkhadiride Chah Souvar, qui y installe des musulmans syriens. Un an plus tôt, celui-ci avait déjà investi la forteresse de Vahga [Feke], résidence secondaire des catholicos, où leur présence, néanmoins, sera à nouveau attestée jusqu’au XVIIIe siècle. Garabed Ier est contemporain des deux grands catholicos d’Aght‘amar Zacharie III et Étienne IV, qui réuniront les deux sièges d’Aght‘amar et d’Édchmiadzin sous leur autorité en 1460 et 1467 sans pour autant parvenir à rallier Sis. Ses successeurs défendront à leur tour la légitimité de leur siège, dont dépendent alors tous les Arméniens des territoires situés dans les frontières de l’Égypte, de la Caramanie – disparue en 1475 – et de l’empire Ottoman, avec d’un côté Jérusalem, siège d’un patriarcat arménien fondé à l’époque arabe, et de l’autre Constantinople, où s’établira bientôt un second patriarcat. La conquête ottomane de la Cilicie, comme celles de la Grande Arménie occidentale, de la Syrie et de l’Égypte, surviennent sous le catholicossat de Jean II de T‘lgouran (Hovhannès T‘lgourantsi, 1489-1525). Une tradition erronée a fait de lui un catholicos poète, auquel ont été attribuées une quinzaine de pièces réunies dans un chansonnier paru en 1513 à Venise – il s’agit de l’un des cinq premiers livres arméniens imprimés – ainsi qu’une version de la geste du preux Libarid, qui raconte sous forme de Chanson les exploits et la mort de ce maréchal du royaume tué en 1369 sous les murs de Sis. Ces œuvres sont celles d’un auteur homonyme des XIVe-XVe siècles. Jean II est en revanche un pontife actif, qui fait édifier à Alep, grâce à la contribution d’Issa réis, une nouvelle résidence patriarcale, moins exposée que celle de Sis. D’autres travaux, conduits sous l’autorité des patriarches de la Ville Sainte et confiés pour certains au docteur Grégoire de Darôn (Krikor Darôntsi) et à son élève Malachie de Terdjan [Tercan] (Maghak‘ia Terdjantsi) (v. n° 44, 45, 46, 56), sont entrepris à Jérusalem, où le catholicos s’emploie à assainir les finances de la congrégation de Saint-Jacques, tandis qu’un édit de confirmation du patriarcat délivré en 1517 par Sélim Ier y consolide la présence arménienne.
Confrontés à l’arbitraire des chefs turcomans et aux dévastations des compagnies djélali, qui bouleverseront l’Asie Mineure au tournant des XVIe-XVIIe siècles, les détenteurs du siège de Sis auront aussi à combattre les ambitions de plusieurs anti-catholicos et à s’assurer la fidélité de Jérusalem et de Constantinople, dont ils devront eux-mêmes diriger les affaires à plusieurs reprises. Au-delà, leur ministère a pour toile de fond les sollicitations de Rome, résolument renouvelées avec la promotion de la Propagation de la foi par les papes Grégoire XIII et Grégoire XV, et la guerre des diocèses qui oppose leur siège à Édchmiadzin. On les trouve souvent établis à Alep. Si l’austérité et l’humilité de Khatchadour Ier Tchorig (1550/1-1560) vont alimenter longtemps les récits populaires, pour leur part, Azaria Ier de Djoulfa (Azaria Dchoughayétsi, 1581-1601) et Jean IV d’Aïntab (Hovhannès Aynt‘abtsi, 1602-1621) se signalent par leurs relations nuancées avec Rome, de même que par leurs interventions répétées destinées à libérer le couvent patriarcal de Jérusalem des lourdes créances engendrées par la pression fiscale ou par l’obligation qui lui est imposée de racheter périodiquement ses droits. Ils encouragent aussi les constructions et les rénovations. À Sis l’église Sainte-Sophie est devenue église patriarcale et une église du Saint-Sauveur (Sourp P‘rguitch), dite alors « royale », lui est associée. La ville compte en 1587 douze autres églises et chapelles. Parallèlement, Sis perpétue une riche tradition de chant sacré et de notation neumatique. Au XVIIe siècle, son école continue d’être réputée celle « des neumes », comme l’école de Mouch [Muş] – allusion au monastère de Saint-Jean (n° 56) – celle « des Psaumes ».
La légitimité du siège de Sis, voire sa suprématie, trouvent en Siméon II de Sébaste [Sivas] (Siméon Sépasdatsi, 1633-1648) leur plus résolu défenseur, comme en témoigne sa correspondance avec Philippe Ier d’Aghpag (P‘ilibbos Aghpaguétsi, 1633-1655, v. n° 34), alors catholicos à Édchmiadzin. Ces deux sièges exercent leur autorité sur un territoire désormais divisé entre les pouvoirs perse et ottoman, auprès desquels chacun d’eux trouve occasionnellement appui. En 1638 une lettre de conciliation est adressée par Siméon II à Édchmiadzin. Mais il faut attendre la grande assemblée de Jérusalem, qui réunit en 1652 auprès du patriarche Asdwadzadour III de Darôn (Asdwadzadour Darôntsi) les deux catholicos Philippe Ier, détenteur du siège d’Édchmiadzin, et Nersès Ier de Sébaste (Nersès Sépasdatsi, 1648-1654), nouveau détenteur de celui de Sis, pour qu’un accord soit conclu sur la répartition des diocèses et la nomination des évêques. Un des effets de cet accord sera cependant l’aggravation du conflit entre Édchmiadzin et le siège catholicossal d’Aght‘amar (v. n° 17). Dans la seconde partie du XVIIe siècle, les tensions se reportent sur l’activité des milieux latinophiles, qui tentent de soumettre non seulement le patriarcat arménien de Constantinople à leur influence, mais aussi le siège de Sis. Le catholicos Théodore II de Sébaste (T‘oros Sépasdatsi, 1654-1657) séjournera en 1656-1657 à Constantinople pour contrecarrer leurs initiatives. Mais Khatchadour III de Galatie (Khatchadour Kaghadiatsi, 1657-1674), qui leur est acquis, parvient à lui succéder à Sis, favorisant la dissidence d’une partie du clergé et des fidèles. Au cours du long conflit ainsi amorcé, plusieurs catholicos, contraints à abdiquer ou apostasier, chercheront leur salut à Rome.
La chapelle Saint-Édchmiadzin, façade ouest (Archives départementales de l’Eure, 36 Fi 825, fonds Gabriel Bretocq 1918-1922).
C’est Jean V de Hadjën (Hovhannès Hadjëntsi, 1705-1721) qui entreprendra de relever le siège de Sis, non sans avoir dû, pendant quelques années, partager sa fonction avec Pierre II de Bérée [Alep] (Bédros Périatsi, 1708-1710), période pendant laquelle il s’installera au monastère de Saint-Jacques de Hadjën (n° 96). C’est là que se retirera aussi Jean VI de Hadjën, intronisé en 1729, après qu’en 1733 Mahmoud Ier a accordé à la famille Adchabahian, de Sis, gardienne de la dextre de l’Illuminateur, le privilège de pourvoir le siège catholicossal. Entre 1733 et 1865, cette famille fournira au trône de Sis une série continue de catholicos. Leur avènement a lieu dans des circonstances difficiles, à la fois marquées par l’opposition d’Édchmiadzin et les intrigues du parti latinophile, et par les violences et la rivalité des chefs turcomans : Divanoghlou établis dans la région de Sis, Khozanoglou dans celle de Vahga. Les trois premiers Adchabahian, tous frères, mourront assassinés en 1737, 1758 et 1770. Luc 1er (Ghougas Adchabahian, 1733-1737), sacré à Vahga des mains même de son prédécesseur, active l’école du patriarcat, qui prendra le nom d’université Saint-Nersès de Lampron. Il rénove l’église de la Sainte-Mère de Dieu et les autres bâtiments du couvent de Sainte-Anne. Michel Ier (Mik‘ayel Adchabahian, 1737-1758) est contraint, quant à lui, de reprendre par firman impérial aux dissidents catholiques, en 1741, l’église dont ils s’étaient emparés à Alep ; mais il ne pourra s’opposer à la création dès 1739 d’un patriarcat arménien catholique, installé à partir de 1749 dans le mont Liban. Otage des conflits tribaux, Gabriel Ier (Kapriel Adchabahian, 1758-1770) est massacré par les Khozanoghlou, auxquels plusieurs sources attribuent également la mort de ses deux successeurs, le lettré Éphraïm Ier (Ép‘rem Adchabahian, 1771-1784), et Théodore III (T‘éotoros Adchabahian, 1784-1796).
C’est à l’initiative de ce dernier, dont l’investiture avait eu lieu à Constantinople en présence du nonce d’Édchmiadzin, que la dextre de saint Grégoire l’Illuminateur, conservée depuis le XVe siècle à Sis dans la demeure des Adchabahian, rejoint les reliques du couvent patriarcal, enrichissant d’une dignité nouvelle la titulature des détenteurs du siège de Sis, désormais « catholicos de tous les Arméniens, patriarches de la Maison de Cilicie, servants de la dextre du saint Illuminateur ». L’œuvre des Adchabahian ne prendra cependant toute sa dimension qu’avec Cyriaque Ier le Grand (Guiragos Adchabahian, 1797-1822), qui installe le couvent patriarcal sur les pentes de la citadelle de Sis, sur le site escarpé de l’ancienne résidence royale. Le Nouveau Couvent, qui exclut une partie des vestiges des constructions primitives et se voit délimité par une enceinte, se constitue entre 1797 et 1810 autour de l’église Sainte-Sophie, elle-même entièrement remodelée et flanquée de plusieurs chapelles et d’un clocher. Bien qu’autorisée, et en dépit du parti pris d’une architecture volontairement ramassée, cette initiative vaudra à Cyriaque Ier une condamnation à mort, à laquelle il n’échappera définitivement qu’après son entrevue avec Mahmoud II en 1820. Il mourra néanmoins empoisonné par les Khozanoghlou en 1822. Cette œuvre de redressement ne pourra être poursuivie par ses successeurs, qui verront leurs efforts perpétuellement ruinés par les exactions et les violences des tribus turcomanes, les obligeant à maintes reprises à abandonner Sis pour Adana ou d’autres lieux. Michel II (Mik‘ayel Adchabahian, 1832-1855) affrontera de plus l’opposition du Conseil religieux du Patriarcat de Constantinople, qui tentera de lui imposer une procédure d’autorisation préalable pour la nomination des évêques. Dernier des Adchabahian, Cyriaque II (Guiragos, 1855-1865) est contemporain de la promulgation en 1860-1863 de la Constitution nationale arménienne dans l’empire Ottoman, qui renforce considérablement les attributions et prérogatives du Patriarcat arménien de Constantinople. Il revivifie temporairement l’école du catholicossat, qui avait périclité, mais surtout, il obtient du pouvoir impérial l’envoi d’une armée pour soumettre les Khozanoghlou et autres beys campés dans la montagne.
Les dispositions de la Constitution nationale relative à l’administration des diocèses et les pouvoirs octroyés au Patriarcat de Constantinople devaient inévitablement engendrer une querelle de compétence avec les catholicossats d’Aght‘amar et de Sis. La tentative d’un neveu des Adchabahian, alors évêque d’Alep, d’occuper le trône de Sis en 1866 sous le nom de Cyriaque III échouera à la suite des interventions du Patriarcat, qui le mandera à Constantinople par le truchement des autorités avant de l’exiler jusqu’en 1876 au monastère d’Armache (n° 78). Élu catholicos dans l’intervalle, Mgrditch Ier Kefsizian (1871-1894) n’en combattra pas moins l’application des dispositions constitutionnelles dans son ressort et l’abaissement projeté de son siège au rang de prélature, alors que, dans le même temps, le catholicossat d’Édchmiadzin, désormais en territoire russe, a déclaré Sis illégitime en contravention à l’accord de 1652. Il s’appuie notamment sur l’assemblée synodale qu’il réunit en 1880 à Sis, et dont il défendra les résolutions à Constantinople jusqu’en 1881, sans pour autant qu’une entente s’établisse avec le Patriarcat. La situation matérielle du couvent patriarcal de Sis ne cessera cependant de se dégrader malgré le terme qui avait été tardivement mis aux extorsions des beys, les efforts du catholicos se portant davantage sur Marache [Maraş], Aïntab [Gaziantep], où il fonde une école, ou Alep.
Après la mort de Mgrditch Ier Kefsizian, les exigences du gouvernement impérial et celles du Patriarcat ne permettront de pourvoir le siège catholicossal qu’en 1902. Sahag II Khabayan († 1939), dernier catholicos à résider à Sis, personnalité d’une exceptionnelle stature, se distinguera à la fois par son attitude conciliante à l’égard d’Édchmiadzin – où trône alors Mgrditch Ier Khrimian, le « Petit Père » du peuple, (v. n° 1 et 53) – qu’il acceptera de considérer comme un siège suprême, et par sa fermeté à l’égard de Constantinople sur la question des nominations. Avec courage, il tentera de soulager la misère du couvent de Sis et d’y entretenir un séminaire qu’il se verra pourtant par deux fois contraint de fermer, en 1903 et en 1909. Prélude du génocide de 1915, les massacres fomentés en 1909 par les Jeunes Turcs du Comité Union et Progès, au pouvoir depuis 1908, ensanglantent toute la Cilicie. Avec le soutien des instances arméniennes de Constantinople, Sahag II œuvrera sans relâche pour relever les ruines, établir des orphelinats, des écoles ou des fabriques. C’est dans cet élan que le surprendront successivement la Grande Guerre et le Grand Crime (Medz Éghern) – le génocide des Arméniens. Assigné à résidence à Jérusalem puis à Damas, contraint d’accepter en 1916 le titre de catholicos-patriarche des Arméniens de Turquie que le gouvernement lui attribue en même temps qu’il abolit la constitution nationale, qu’il ordonne la fusion des catholicossats de Sis et d’Aght‘amar et soumet à cette nouvelle entité les patriarcats de Constantinople et Jérusalem, Sahag II assiste à la déportation et à l’extermination des son peuple. Peut-être, les relations qu’il a conservées avec Djémal Pacha, Ministre de la Marine et chef de la IVe Armée ottomane, ont-elles pesé dans la décision prise par ce dernier de soustraire à la mort certains déportés de Syrie et de Palestine ; mais l’attitude de Djémal Pacha s’explique aussi par le différend qui l’oppose à la branche dure du Comité Union et Progrès et par les tractations secrètes qu’il mène avec l’Entente. Avec la fin des hostilités, Sahag II retourne aux côtés des rescapés en Cilicie, où se sont établies les forces françaises. Pourtant, avec le retournement de la diplomatie française, qui aboutit à la signature de l’accord d’Angora [Ankara] avec les Kémalistes en octobre 1921, la Cilicie est évacuée. À juste raison, les Kémalistes sont perçus comme les continuateurs des Jeunes Turcs et les déportés qui étaient rentrés doivent repartir pour un nouvel exil. La population arménienne de Sis est évacuée en juillet 1920 vers Adana tandis que celle de Hadjën [Sayimbeyli] (v. n° 96) et d’autres villes est abandonnée à son sort. Sahag II quitte définitivement Adana en décembre 1921 pour rejoindre à Chypre et dans les territoires syro-libanais sous mandat français les réfugiés arméniens survivants.
Chargé du poids d’une longue histoire et témoin inébranlable d’une succession de tragédies, Sahag II, désormais catholicos « de la Grande Maison de Cilicie », sera, avec son coadjuteur Papguen Ier (Papguen Ier, Gulessérian, 1931-1936), l’artisan de la renaissance de l’institution ecclésiale du catholicossat de Sis, qu’il parviendra à installer au Liban, à Antélias, et à laquelle seront transférés les diocèses du patriarcat de Jérusalem.
Vue générale ouest : bloc absidial de l'église Sainte-Sophie avec la chapelle Saint-Édchmiadzin, 1943 (Kéléchian, 1949, 749).
Les bâtiments du siège catholicossal de Sis comprenaient, dans l’Ancien Couvent, situé au sud-ouest de la ville :
• L’église Sainte-Anne ou de la Sainte-Mère de Dieu, à coupole, vraisemblablement édifiée en 1423, restaurée en 1734, et dont le porche abritait la sépulture des plus anciens catholicos et de plusieurs prélats.
• Des bâtiments communs, dans lesquels avait été installée au XIXe siècle une école.
Dans le Nouveau Couvent :
Plan d’après (Gergian-Nordiguian, Les Arméniens de Cilicie, 2012: Restitution du plan de la Cathédrale à partir d'un plan de R.Edwards,DOP, 1982, fig 24.)
• L’église cathédrale Sainte-Sophie (A), église palatine fondée en 1226, devenue église patriarcale au XVIe siècle puis transformée et agrandie en 1797-1810 : basilique triabsidiale à toit en bâtière surbaissée au dessus de la nef centrale et à deux rampants couvrant en contrebas les nefs latérales, plus étroites. Celles-ci donnaient, de part et d’autre de l’abside centrale – semi-saillante – dans des absidioles à double niveau. Quatre piliers libres et quatre autres engagés, dont deux dans l’arc triomphal, soutenaient l’édifice, que prolongeait à l’ouest un porche à cinq arches, dont deux latérales, surmonté d’une tribune ouverte sur les nefs. Avant les années 1850, celle-ci avait été remplacée par une tribune intérieure en bois et les ouvertures primitives converties en fenêtres. L’église était éclairée par une série de fenêtres et d’oculi situés en hauteur. À l’intérieur, les murs et piliers engagés étaient en grande partie lambrissés de carreaux en faïence de Goudina [Kütahya] ; près du premier pilier nord était placé le trône catholicossal, face au chœur, et à l’extrémité ouest de la nef nord la tombe du catholicos Cyriaque Ier, bâtisseur de l’église. On accédait par le chœur à une crypte ou un caveau. Flanquée aux angles nord et sud du chevet de contreforts arrondis en saillie, l’église cathédrale Sainte-Sophie mesurait, porche compris, près de 40 m de long sur 20,4 m de large ; avec les contreforts, la largeur du chevet atteignait 22,4 m.
Abside centrale de l'église Sainte-Sophie après la destruction de l'autel (Archives départementales de l’Eure, 36 Fi 788, fonds Gabriel Bretocq 1918-1922).
• La chapelle Saint-Grégoire l’Illuminateur (B), édifice à coupole sans tambour mesurant 5 × 5,4 m à l’intérieur, accolé au mur nord de l’église Sainte-Sophie et communiquant avec elle.
• Dans le prolongement à l’ouest de la chapelle précédente et communiquant avec elle, la chapelle du Saint-Esprit (C), plus élevée, mesurant 5,4 × 5,4 m à l’intérieur ; également surmontée d’une coupole, elle abritait le trésor. Ces deux chapelles constituaient ensemble un bloc de 13,5 × 6,4 m disposé le long de la façade nord de la cathédrale.
• Bâtie contre la façade sud de la cathédrale, avec laquelle elle communiquait, la chapelle Saint-Édchmiadzin (D), mononef d’environ 14 × 6 m, surmontée d’une coupole à facettes.
• À l’angle du chevet de la chapelle Saint-Édchmiadzin et de la cathédrale, une tour-clocher (E) de 4,6 × 4,1 m d’emprise, dont la hauteur n’excédait pas toutefois celle de Sainte-Sophie.
• Une enceinte, servant de mur de soutènement à l’est et montant irrégulièrement et obliquement vers l’ouest le long de la pente rocheuse, pour s’achever en pointe au sommet du domaine conventuel. Des logis s’y adossaient au sud et au nord au-dessus des portes primitives. Une troisième porte plus haut placée avait été ouverte dans la muraille nord : elle donnait accès à la grange et aux écuries.
• Des communs – cuisine, four, celliers, réfectoire, bains – et le bâtiment du séminaire.
• Divers logis, alignés parallèlement à la muraille est ou constituant des pavillons distincts.
• La résidence patriarcale, vaste construction cruciforme à boiseries, dont la grande salle était agrémentée d’un décor peint sur enduit. Elle avait été édifiée, comme le reste des bâtiments conventuels, entre 1797 et 1810.
Plan générale restitution d’après (Gergian-Nordiguian, Les Arméniens de Cilicie, 2012: Restitution du plan de la Cathédrale à partir d'un plan de R.Edwards,DOP, 1982, fig 24.)
Du couvent patriarcal de Sis dépendaient la ferme de T‘il ou T‘lan, qui couvrait quelque 2.000 arpents et possédait un moulin. Le couvent avait aussi un moulin à Sis, ainsi que des maisons, boutiques et jardins à Sis et Marache. Quant au trésor, il était notamment composé de plusieurs reliquaires, d’objets d’orfèvrerie et de dinanderie, de vêtements sacerdotaux – plus de 820 pièces au total – et d’une précieuse bibliothèque de 145 manuscrits.
Confisqués après la rétrocession de la Cilicie à la Turquie, tous les bâtiments du catholicossat de Sis ont été ravagés et méthodiquement détruits. L’Ancien Couvent a entièrement disparu. Quant au Nouveau Couvent, il n’en reste que des vestiges. La démolition de l’église Sainte-Sophie a commencé dès les années 1915-1918. En 1943, il ne restait de la cathédrale que le bloc absidial ; au nord, les chapelles Saint-Grégoire et du Saint-Esprit avaient été arasées, et au sud, celle de Saint-Édchmiadzin étaient déjà mutilée ; à l’arrière, le clocher avait été abattu jusqu’à mi-hauteur. Dans les années 1980, on ne voyait plus de ces ruines que deux assises du chevet de Sainte-Sophie au-dessus du soubassement, le caveau du chœur et quelques pans de mur de Saint-Édchmiadzin toujours visibles en 2009. Un réservoir a été creusé à l’emplacement de la nef et des chapelles nord de la cathédrale et le site ultérieurement boisé. Du Trésor de Sis n’ont pu être sauvées qu’un très petit nombre de pièces, dont la dextre de saint Grégoire l’Illuminateur. Tous les manuscrits ont disparu ou péri, à l’exception de deux : le célèbre Évangile enluminé de Partzerpert [***], daté de 1248, et le grand rituel dit « de Sis », daté très certainement de 1311, dans lequel plusieurs catholicos ont déposé depuis le XVIe siècle la mention autographe de leur accession au trône.
Aram Ier, catholicos de la Grande Maison de Cilicie, a saisi en avril 2015 la cour constitutionnelle d’Ankara en vue de la restitution du couvent patriarcal de Sis et de ses dépendances. En attendant de statuer, la cour constitutionnelle a transmis la requête du catholicos au ministère turc de la Justice. L’avis défavorable émis par celui-ci en mai 2016 a été contesté dans les délais requis par le catholicossat.
Vue sud de la chapelle Saint-Édchmiadzin, 1943 (Kéléchian, 1949, 749).
Berbérian, 1871, 98-101, 166-167. Bezdiguian, 1927, passim. Savalaniants, 1931, i, 550 ; ii, 902-906. Ormanian, 1959-1961, ***, 1959. Pivazian, 1960, 12-33, 197-204, 265-273. Album, 1965, passim. Akinian, 1968, 251-272. Éghiayan, 1975, ***. Aznavorian, 1978, 16-17, 29-51. Edwards, 1982, 168-170, fig. 24-29. Edwards, 1983, 134-141, fig. 47-66. Taniélian, 1984, ix, 90, 96. Gulésserian, 1990, passim. Djemdjémian, 1996, 226. Correspondance, 1999, passim. Mutafian, Van Lauwe, 2001, 76-77. Dédeyan, 2003, ii, 1264-1268. Kévonian, 2004, 27-136. Tachdjian, 2004, ***. Kévorkian, 2006, 832-839. Mutafian, 2012, i, 224.