Ce célèbre monastère se trouve à 38° 17’ N et 42° 55’ E dans la partie orientale du canton arménien de Rëchdounik‘, au sud-ouest d’Osdan (ou Vosdan) [Gevaş] et à quelque distance de la rive sud du lac de Van, sous la montagne d’Éghérovn [Agerov Dağ]. Il a été bâti au milieu du village de Nareg (= Narek) [Yemişlik], dont il porte le nom.
La fondation du désert de Nareg remonte aux années 925-940. Elle a été le fait des communautés de moines qui avaient fui la persécution chalcédonienne en territoire byzantin pour trouver refuge auprès des souverains arméniens. Nareg est, avec Gamërdchatzor – aujourd’hui disparu – et Horomos (n° 82), l’un des trois établissements alors créés par ces communautés sous la règle de saint Basile. C’est sous la direction de l’abbé Ananie de Nareg (Anania Narégatsi, † vers 980) que la communauté de Nareg prend son essor, donnant naissance à une école où vont briller nombre de savants et d’érudits – philosophes aussi bien que poètes, musiciens, commentateurs ou copistes – dans une quête renouvelée de spiritualité et de vérité. Parmi eux, dans le sillage de l’abbé Ananie, se distingueront deux frères de sa parenté, Jean de Nareg (Hovhannès Narégatsi) et, de façon plus éclatante encore, Grégoire de Nareg (Krikor Narégatsi, 940-1003), poète mystique que l’Église arménienne a hissé au rang des saints : également l’évêque et historien Oukhdanès (935 ?-1000), un neveu d’Ananie. Après un déclin temporaire, le monastère de Nareg apparaît à nouveau comme un scriptorium actif au XVe siècle ; il l’est encore en 1587. Le prieur Jean et le docteur Ménas de Ghap‘an (Minas Ghap‘antsi) achèvent en 1707 d’en restaurer les églises, auxquelles le docteur Basile (Parsegh) adjoint en 1787 un vaste narthex et le prieur Haroutiun Darontsi, originaire du monastère d’Amirdol (n° 59), un clocher en 1812. Les coupoles des églises et leurs coiffes sont restaurées en 1843 par l’architecte Sarhad de Paghèche [Bitlis]. Peu après, le catholicos d’Aght‘amar Pierre (Bedros Bulbul, 1858-1864) entreprend d’installer à Nareg un séminaire, et un orphelinat y est temporairement ouvert. Le monastère est attaqué et pillé pendant les massacres de 1895. Le P. Arsen Markarian, vicaire patriarcal d’Aght‘amar, tentera à partir de 1904 de réparer ces dommages dans un projet de rénovation générale qui restera inachevé.
Vue générale sud-ouest (Araks, 1898, 81)
À ce monastère est resté indissolublement associée l’exceptionnelle personnalité de saint Grégoire de Nareg, que sa conduite aussi bien que ses discours, méditations et prières ont fait vénérer de son vivant. Le recueil de ses prières, ou Livre des lamentations, mis en forme par Grégoire avec l’aide de son frère entre l’an mil et 1002 à la demande de la communauté monastique, constitue un long poème de quatre-vingt-quatorze chapitres où l’auteur s’emploie à explorer les potentialités de l’âme, toutes les manifestations et toutes les images de la cohérence dont procèdent la création, la révélation et le salut : il est devenu pour les Arméniens une sorte de livre sacré. Livre le plus répandu après la Bible, poésie mêlant au repentir la consolation et l’espérance, cette suite de « Paroles à Dieu des profondeurs du cœur » a été désignée du nom même du village et du monastère où Grégoire a vécu retiré et à été enseveli à sa mort : Nareg. Le Nareg (ou Narek), devenu au long des siècles le compagnon de tout Arménien lettré, a rejoint légitimement les chefs d’œuvre de la littérature universelle. Quant au monastère de Nareg, il est resté jusqu’au XXe siècle le lieu de rassemblement d’innombrables pèlerins venus se recueillir sur le tombeau du saint, aux fêtes de la Transfiguration et de la sainte Croix de Varak (v. n° 1).
Le monastère de Nareg comprenait :
• L’église Sainte-Santoukhd (A), édifice triconque en croix inscrite de 11,3 × 8,3 m à deux absidioles, remontant au deuxième quart du Xe siècle, surmonté d’un haut tambour octogonal à coiffe pyramidale.
• L’église de la Mère de Dieu (B), mononef à abside outrepassée, niches latérales sous arcatures et coupole sur tambour, accolée à la façade sud de la précédente, d’égale longueur et large de 6 m, restaurée avec l’église primitive et la chapelle funéraire de saint Grégoire en 1707.
• Un grand narthex (C) de 14,5 × 11,5 m édifié en 1787, principalement soutenu par quatre piliers centraux et six piliers engagés délimitant au-dessus des arcs des caissons voûtés, ouvert à la fois sur l’église Sainte-Santoukhd et, par un vestibule secondaire, sur l’église de la Sainte-Mère de Dieu ; il abritait les sépultures d’Ananie et de Jean de Nareg.
• Un clocher (D) à trois niveaux de 27 m2 d’emprise, élevé en 1812.
• Le mausolée de Grégoire de Nareg (E), petite chapelle à tambour et coiffe pyramidale, précédée d’un vestibule auquel on accédait par l’absidiole nord de l’église Sainte Santoukhd ; il renfermait le tombeau du saint poète, sur lequel avait été placée en 1867 une stèle à croix taillée dans le marbre ; ces cinq constructions s’étalaient d’un bloc sur 34,5 m d’est en ouest.
• Une enceinte (F) à laquelle s’adossaient du côté sud la prélature, l’école et, à l’étage, les logis des moines et pèlerins.
Nareg était, après le siège diocésain et catholicossal d’Aght‘amar (n° 17), le monastère de ce diocèse le mieux doté en biens fonciers et immobiliers. Sa juridiction s’étendait sur quatre villages.
Confisqué après la Grande Guerre, le monastère de Nareg a été entièrement détruit en 1951, sur ordre de la préfecture de Van. Une mosquée a été élevée à son emplacement.
Lalayants, 1911, 37-42. Oskian, 1940-1947, I, 189-200. Thierry, 1989, 327-330. Mahé, 2007, 3-29.