Il faut remonter sur vingt-cinq kilomètres environ à partir d’Hatamaguerd [Başkale] la vallée du Medzn Zav ou Grand Zab [Zap], dans le canton arménien de Medzn Aghpag ou Grand Aghpag, pour atteindre, à 38° 08’ N et 44° 12’ E, le monastère de Saint Barthélemy. Celui-ci s’élève sur la rive droite de la rivière, appelée à cet endroit rivière d’Achguerd, sur un vaste tertre qui domine le village situé à ses pieds : Alpayrag [Zapbaşı] ou simplement Vank‘, « le Monastère ».
Plusieurs traditions associent à la fondation de ce monastère l’apôtre saint Barthélemy, le roi Sanadroug (1ère moitié du IIe siècle) ou encore le fils du roi Tiridate IV et saint Grégoire l’illuminateur (1ère moitié du IVe siècle). La tradition a prévalu que ces lieux abritaient les restes de saint Barthélemy qui, après sa halte au Couvent des Esprits (n° 31), aurait connu ici le martyre. Cette assertion doit être rapprochée d’une autre tradition, qui place au nord du Vasbouragan, à l’emplacement du monastère de Saint-Thaddée, aujourd’hui en Iran du Nord, la sépulture de ce second apôtre. C’est pourquoi le territoire montagneux qui réunit ces deux sanctuaires est appelé Arak‘élots Erguir « Pays des Apôtres ». Le monastère est cité dans la première moitié du IXe siècle sous le nom de Désert d’Ache (Acho Anabad ) ou Couvent d’Achad (Achada Vank‘ ), puis en 1316 sous le vocable de Saint-Barthélemy. Son supérieur, Jacques (Hagop), est présent au concile réuni à cette date à Adana, en Cilicie. Aux XIVe et XVe siècles, Saint-Barthélemy figure parmi les grands sièges de l’Église d’Arménie : ses supérieurs, qui ont la dignité d’archevêque, sont primats du diocèse d’Aghpag. Le monastère possède aussi son scriptorium. À l’époque du prieur et grand docteur Cyriaque (Guiragos, † 1457), il abrite une trentaine de moines. L’école d’Aghpag est encore florissante à la fin du XVe siècle, époque où, sous l’abbatiat de l’archevêque Jean (Hovhannès), y fait autorité le moine philosophe Lazare (Ghazar).
Façade sud, funérailles d'un Arménien assassiné par des Kurdes (N. et H. Buxton, 1914, p.32).
Le XVIe siècle amorce ici, comme dans de nombreux autres couvents, un lent déclin. Il faut attendre le patriarcat à Édchmiadzin de l’énergique Philippe Ier d’Aghpag (P‘ilibbos Aghpaguétsi, 1633-1655), originaire de la région, pour que l’abbé Cyriaque II, également supérieur de la Sainte-Croix de Varak (n° 1), mène à bien en 1651 la restauration de l’ensemble des bâtiments du monastère. Le prieur Isaïe (Essayi) continue dans les années 1659-1667 d’œuvrer pour le relèvement de son siège, dont la juridiction s’étend alors sur Salmasd, à l’est, et qui, en englobant Ourmia, finira par comprendre au XVIII-XIXe siècles toute la rive occidentale du lac d’Ourmia, en Iran du Nord. Renversé par le tremblement de terre de 1715, le tambour de l’église est reconstruit en 1755 par l’abbé Jean de Mogs (Hovhannès Mogatsi), de la congrégation du Désert de Lim (n° 3). La nomination de l’abbé de Saint-Barthélemy devient un sujet de discorde et de négociations entre le catholicos d’Édchmiadzin, le seigneur kurde de Hakkiari et les fidèles pendant toutes les années 1766-1817. En 1843, après que la frontière russo-persane a été établie en 1828 sur l’Araxe, les abbatiats des deux monastères apostoliques de Saint-Barthélemy et de Saint-Thaddée sont provisoirement réunis. Endommagé par un tremblement de terre en 1860, le tambour de l’église est rénové par le docteur Éghiazar en 1877-1878, tandis qu’en 1897, un nouveau tremblement de terre nécessite de consolider les murs de l’église. La juridiction du monastère s’étendait, au début du XXe siècle, sur 26 localités et 23 églises, dont le prieuré de Saint-Édchmiadzin de Sorader (n° 33). Saint-Barthélemy a été de tout temps le but d’un grand pèlerinage : la coutume, mentionnée déjà au IXe siècle, voulait qu’on lui offrît à cette occasion des bovidés blancs.
Le monastère de Saint-Barthélemy comprend :
Plan générale (d'après Bachmann modifié)
• L’église. Église en croix inscrite typologiquement apparentée aux édifices des XIII-XIVe siècles, elle s’élève très probablement sur l’emplacement d’une basilique paléochrétienne édifiée sur gradins, dont elle a conservé, outre le socle, la partie orientale, dans laquelle ont été aménagés le bras est et l’abside centrale – flanqués de deux chambres latérales – et au-dessus, un espace clos et voûté constituant un second niveau. La chambre nord abrite la chapelle funéraire de saint Barthélemy et celle de droite, au sud, l’autel du chiliarque (hazarabed), dignitaire de l’entourage du roi Sanadroug autrefois guéri de la lèpre par l’eau d’une source proche. L’église est surmontée d’un tambour dodécagonal à coiffe pyramidale, rénové au milieu du XVIIe siècle avec une alternance de bandes horizontales de pierres noires et de couleur, réédifié en 1755 et restauré à nouveau en 1877-1878.
• Dans l’exact prolongement de l’église à l’ouest, un narthex à huit piliers engagés servant de départ à quatre arcs entrecroisés qui, sur un deuxième niveau, permettent à quatre nouveaux arcs qui s’entrecroisent de délimiter au centre une lucarne surmontée d’un lanternon à colonnettes. On y accède par un portail monumental à double tympan sculpté, un tympan inférieur représentant un combat de cavaliers, peut-être une pierre antique de réemploi, et un tympan supérieur représentant la théophanie trinitaire. Un clocheton coiffait la façade. Église et narthex, contemporains l’un de l’autre, forment ensemble un bloc de 31 × 16,5 m aux façades décorées d’une succession d’encadrements moulurés. La couverture du narthex, en bâtière et à bas-côtés, est toutefois plus élevée que les rampants du toit de l’église.
Plan (d'après Bachmann modifié)
Coupes (d'après Bachmann modifié)
• Des bâtiments communs regroupés à l’ouest de la cour de l’église et du narthex : écuries, bergeries, fenil, dans une première avant-cour ; logis, magasin, économat, cellier, dans une deuxième.
• Une hôtellerie ou maison extérieure, située au nord, qui a aussi abrité une école.
• Une enceinte à tours d’environ 350 m, d’un tracé irrégulier, auquel était adossé au nord un moulin.
Le monastère possédait des terres arables, des pâturages et des bois.
Le monastère de Saint-Barthélémy a été confisqué après la Grande Guerre et englobé dans un camp militaire. Ses bâtiments n’ont bénéficié cependant d’aucune protection. Le tremblement de terre de 1966 a entraîné l’effondrement du tambour de l’église, de la couverture du narthex et du tympan supérieur. L’armée s’est retirée des lieux en 2012, laissant un monument dramatiquement mutilé, dont toutes les pierres de parement, jusqu’à mi-hauteur de certaines façades, et parfois au-delà, ont été arrachées. Communs et enceinte ont disparus.
Vue générale nord-est, 1980 (Coll. Gazarian).
Oskian, 1940-1947, III [1947], 785-805. Darbinian-Mélikian, 1971, 110. Thierry, 1989, 471-477. Devgants, 1991, 297-304. Mirakhorian, 2013, 221-227.