Appelé aussi monastère de Souhar (Souhara Vank‘ ), ce dont s’est également prévalu un autre établissement, ou de Kharapasd (Kharapasdi Vank ) du nom d’un ancien village, le monastère de la Sainte-Mère de Dieu Ardzwaper, ou « des Aigles », épithète qui fait formellement référence au vol de cet oiseau, est sans doute ainsi désigné par réfection d’un toponyme ourartien. Situé à l’est d’Ardjèche [Erciş] et de son faubourg Agants [Erciş, quartier est], entre les villages de Sosgoun [Keklikova], au nord, et Gdradz K‘ar [Kadirasker Köyü], au sud, il s’élève au pied d’un bras méridional des monts Dzaghgants, à 39°02´N et 43°26´E. Le hameau qui l’entoure n’a d’autre nom qu’Ardzwaper [Salmanağa].Un autre monastère de la Sainte-Mère de Dieu Ardzwaper existe : il situé dans le Rëchdounik‘, sur la rive sud du lac de Van.
Vue générale l'église de la Sainte-Mère de Dieu, 2011 (Coll. P. Maguesyan).
La fondation de cet établissement est attribuée au prince Mjej Knouni, personnage de la première moitié du VIIe siècle († 637), ou, moins probablement, au catholicos Élie Ier d’Ardjèche (Éghia Ardjichétsi, 703-717). Cité au XIIIe siècle comme l’un des trois monastères importants du canton de K‘adchpérounik‘ avec ceux de Médzop‘ (n° 9) et d’Ourngar, Ardzwaper apparaît d’emblée aux XIV-XVe siècles comme un grand scriptorium. Les évêques Lazare (Ghazar, 1325), Khatchadour et Zak‘éos († avant 1401) figurent parmi les grands abbés de cette communauté. Ce dernier y attire en 1393 le docteur Serge de Sorp (Sarkis Sorpétsi, † 1401, v. n° 15, 28) qui fonde à Ardzwaper une université monastique rassemblant une soixantaine d’élèves. Cet enseignement est continué après sa mort par le docteur Vartan, du couvent des Esprits (Hokwots Vank‘, n° 31), puis par le savant Grégoire Dzérents de Khlat‘ [Ahlat] (Krikor Dzérents Khlat‘étsi), compilateur célèbre des Vies de saints, qui finit par installer son école dans un autre centre spirituel du Vasbouragan, à Tsibnavank‘, près d’Ardzgué [Adilcevaz], où est également transféré l’évêché du K‘adchpérounik‘. Ardzwaper est restauré dans les années 1409-1414, à l’époque de l’abbé Garabed. Lorsqu’il est décidé en 1441 d’établir au monastère d’Édchmiadzin, à Vagharchabad, le siège de l’Église d’Arménie, alors à Sis [Kozan], en Cilicie (v. n° 73), et d’y installer un nouveau catholicos, c’est sur un élève de l’école d’Ardzwaper, Guiragos Ier, jadis ordonné par l’abbé Zak‘éos, que se portera le choix. La poursuite de l’activité scripturaire est attestée jusqu’à la fin du XVIe siècle à Ardzwaper, après quoi elle périclite brusquement: en 1711 le prêtre Garabed de Mogs entreprendra des rénovations dans un monastère qu’il a trouvé déserté et dont il devra racheter une croix et des manuscrits retenus en gage, mais ce témoignage concerne plus probablement le couvent homonyme du Rëchdounik‘. La plupart des textes qualifient Ardzwaper, et notamment son église, de construction imposante et magnifique. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la coupole de l’église s’était en partie effondrée sans qu’il fût possible de la reconstruire : au contraire, le monastère fut attaqué et dévasté en 1896, et à nouveau en 1915.
Restitution axonométrique (Thierry, 1989, 202)
Le monastère d’Ardzwaper est organisé autour de l’église de la Sainte-Mère de Dieu, une tétraconque tétraniche à quatre chambres disposées dans les angles, dont deux ouvertes sur l’extérieur dans la façade ouest, bâtie sur le modèle de l’église Sainte-Hrip‘simé de Vagharchabad (Édchmiadzin) édifiée au début du VIIe siècle. L’église, de 15,2 × 18,5 m, élevée sur gradins, était surmontée d’un tambour octogonal à coiffe pyramidale, aux arêtes soulignées par des niches verticales, comme on en voit sur quelques monuments arméniens de la même époque. Elle était dotée d’un grand autel édifié dans la conque est, et de deux autels latéraux, dédiés à saint Étienne et saint Serge, jouxtant eux-mêmes deux tombes anciennes, peut-être celles de Serge de Sorp, de l’abbé Zak‘éos ou de l’abbé Khatchadour, qui avaient été ensevelis les uns auprès des autres. Ardzwaper comprenait aussi une forte enceinte flanquée de quatre tours d’angle, avec deux imposants logis, des magasins, des caves et des silos à blé. Non loin se dressaient deux stèles à croix datées de 1402 et 1404, cette dernière élevée par l’abbé Garabed à la mémoire du grand abbé Zak‘éos, son parent. Une troisième stèle datait de 1449.
Plan (Thierry, 1989, 202)
Ardzwaper a été confisqué après la Grande Guerre et laissé sans protection. Toutes les parties communes ont disparu, y compris l’enceinte, de même que les stèles à croix. L’église n’a plus son tambour et a perdu une grande partie de son parement extérieur, dont les pierres ont été arrachées. Celles, multicolores, du parement intérieur sont encore en place là où les murs ne sont pas effondrés. L’arc triomphal en plein cintre de l’abside, presque intact dans les années 1970, est aujourd’hui ouvert.
Oskian, 1940-1947, I, 145-146 ; II [1942], 396-412. Mouradian, Mardirossian, 1967, 42-43. Thierry, 1989, 199-205. Donabédian, 2008, 166-167.